L’esprit du débutant est le troisième pilier de l’entrainement à la pleine conscience après la patience. Il s’agit en fait d’une attitude qui consiste à garder l’esprit humble, ouvert et curieux à toutes choses, comme l’âme d’un enfant.
Cela peut paraître frappé au coin du bon sens mais l’orgueil du “sachant”, de celui qui a arpenté un peu le chemin et qui pense “en savoir plus” sur tel ou tel sujet a tôt fait de voiler le cœur des jeunes pratiquants comme des plus anciens.
Cela est vrai aussi lorsqu’on aborde la méditation après avoir lu toutes sortes de choses, fait toutes sortes de stages et bâti toutes sortes d’opinions au sujet de qu’est ou n’est pas la méditation. Je le constate chaque jour dans ma communauté et plus encore dans mon cœur.
Il est facile de s’estimer “plus ceci” ou “moins cela”, ou encore de juger de l’état d’avancement d’une personne sur tel ou tel aspect de son chemin. Il y a tellement de choses que mon ego pense mieux savoir parce que j’ai fait ceci ou cela, suivi tel parcours ou tel autre.
Qu’est-ce que l’esprit du débutant ?
Avec l’attitude ou l’esprit du débutant, tout instant vécu est toujours perçu comme nouveau et frais. Or, à cause de mes multiples attentes et désirs, de mes attachements et de mes rejets, il m’est difficile d’expérimenter le moment présent tel qu’il est.
Avec la force des habitudes et du “connu”, considérer les personnes, les choses et les situations autour de moi avec une véritable curiosité est un défi : je pense que c’est normal, que je sais déjà et, en conséquence, je ne prête plus attention à ce qui ne sort pas de “l’ordinaire”. Et vous n’êtes pas différents de moi, je le sais. 😉
En fait, notre expertise ou expérience pèse lourd au point de ne laisser aucune place pour la nouveauté… Notre esprit a besoin de classer, de comparer, de sélectionner, de comprendre, de faire référence à…
Cela me rappelle cette histoire d’un maître qui reçoit un jour la visite d’un homme qui déclare vouloir étudier avec lui. Le maître l’invite à boire le thé pendant que le visiteur lui expose son passé, ses découvertes, ses réflexions, son expérience, ses relations, ses avis sur la Vie et sur le Monde.
Le maître écoute patiemment et recommence à lui verser du thé dans sa tasse déjà pleine. Celle-ci finit par déborder, le thé coulant tout autour. L’élève s’écrie alors : “que faites-vous, ma tasse est déjà pleine. Et le maître lui répond : comment mon enseignement pourrait-il pénétrer votre esprit alors qu’il est déjà plein comme cette tasse” ?
La réponse pourrait être : en entretenant l’esprit du débutant.
On peut devenir un pratiquant “avancé” dans n’importe quel domaine et garder l’esprit du débutant. On peut aussi, à l’inverse, être un pratiquant débutant qui ne parvient jamais à se détacher de ses préjugés, de ses opinions toutes faites.
L’esprit du débutant n’est et ne doit pas être limité dans le temps, ponctuel. C’est une qualité d’attention qui doit s’entretenir car plus la pratique s’approfondit et plus le pratiquant avancé devrait être en mesure de garder cet esprit humble, ouvert et curieux.
Comme dans tout entrainement, l’une des clés de ma pratique est la répétition. Si je perds l’esprit du débutant, cette répétition deviendra mécanique et perdra de sa substance. Garder l’esprit du débutant, cela signifie pouvoir répéter indéfiniment les mêmes pratiques, avec la même fraîcheur, la même curiosité, la même humilité.
C’est indispensable à ma progression parce que la Vie est espiègle au point que lorsque je parviens à “trouver les réponses à mes questions”, ce sont mes questions qui changent.
En fait, entretenir l’esprit du débutant c’est d’abord prendre conscience que, quelque soient les apparences extérieures, chaque instant est toujours neuf, toujours complètement frais et particulier. “On ne se baigne jamais deux fois dans la même eau” nous rappelle le sage.
Ce à quoi je pourrai ajouter que “celui se baigne n’est jamais deux fois le même”. Car même si nous n’en avons généralement pas conscience, chaque instant se produit dans un ensemble de circonstances et de conditions parfaitement uniques.
Par exemple au niveau biophysique : saviez-vous que votre foie se reconstitue complètement au bout d’un an (si vous vous mettez à la diète)? Vos poils et cheveux tombent de l’ordre d’une centaine par jour et se renouvellent en gros tous les 2 à 7 ans. Vos globules rouges sanguins se renouvellent complètement tous les trois mois. La muqueuse de vos intestins, elle, se renouvelle au rythme incroyable d’un million de cellules par minute! En quatre jours, vous avez donc un intestin “tout neuf”. Comptez 3 à 6 mois pour le renouvellement de vos ongles. Vos muscles se renouvellent sur une période de quinze ans, et votre squelette en dix ans.
En bref, votre corps se renouvelle tout le temps et vous pensez être la même personne ?
Gardons l’esprit du débutant car le changement est permanent
À un niveau superficiel les choses semblent demeurer identiques mais le changement est permanent. Que ce soit au niveau cellulaire, personnel, familial, social, environnemental, national, terrestre, galactique ou intersidéral, il se produit en profondeur à chaque instant et nous n’en avons pas conscience.
Pourtant, je n’ai jamais vécu cet instant auparavant tel qu’il se présente à moi. Et vous non plus. Il est unique. L’instant d’avant nous n’étions pas la même personne dans les mêmes circonstances et les mêmes conditions qu’à cet instant précis qui ne se reproduira jamais. Et l’instant suivant, quelque chose déjà aura changé à notre insu, ne serait-ce que parce que vous avez lu quelques mots de plus de ce texte. 😆
Il est donc clair que si tout change en permanence, rien de ce qui est su ou appris ne l’est jamais définitivement. D’où l’importance de garder l’esprit du débutant dans la pratique de la méditation pleine conscience. En effet, chaque méditation est différente parce que chaque instant est unique.
Or l’un des obstacles à l’esprit du débutant, c’est l’impatience : en commençant la pratique on s’attend à des résultats tangibles… Et tout de suite s’il vous plait ! Si ces résultats tardent à venir, l’hésitation puis le doute font place à la déception puis à la lassitude qui engendrent l’abandon.
Un autre obstacle se présente lorsque l’enthousiasme du début retombe et que l’on s’installe dans une pratique confortable, automatique. Surviennent alors, en plus des risques précédents, le risque de stagner qui peut engendrer différentes formes de crispation, voire de “paralysie spirituelle”.
Pour prévenir ces difficultés, il est important de se rappeler l’état d’esprit dans lequel on a commencé la pratique et les raisons qui nous y ont poussées. Entretenir l’esprit du débutant permet de préserver notre liberté d’apprendre de chaque méditation avec une attention aiguisée – comme si c’était à chaque fois la toute première – en faisant taire nos préjugés et notre orgueil et en choisissant une attitude humble, ouverte et curieuse à chaque instant. Car il existe d’infinies possibilités de considérer tous les aspects d’une expérience avec un regard neuf. Et ce regard neuf comporte des opportunités de transformation personnelle.
Par exemple, si je ne pense pas que les gens sont “comme ils sont d’ordinaire”, j’ouvre mon cœur et mon esprit à des situations et des relations nouvelles. Autrement dit, dès que je décide de changer mon regard sur les choses “ordinaires”, mon attention sur les choses change. Alors, tout change.
“La beauté se trouve dans l’oeil de celui qui regarde” dit-on. Avec un regard neuf sur mon quotidien et sur les gens qui m’entourent, j’entretiens l’esprit du débutant. Je décide de voir les choses avec la curiosité d’un enfant, comme si c’était la première fois que je voyais une fourmi, un nuage, une fourchette ou mon conjoint. Peu importe s’il s’agit d’une expérience en apparence ordinaire, car c’est en cherchant l’extraordinaire dans l’ordinaire que mon regard transforme la vie qui m’entoure en magie permanente.
Par exemple : avez-vous déjà considéré l’âge astronomique du métal qui constitue votre fourchette ? Le lieu dont ce métal a été tiré ? Les personnes et les engins qui ont été nécessaires à son extraction, puis à sa transformation ? Le designer qui a imaginé la ligne de votre fourchette ? Toutes situations et les personnes qui ont contribué à la longue chaîne de causes et d’effets pour que vous puissiez piquer la nourriture qui se trouve dans votre assiette? Et d’ailleurs, parlons-en de cette nourriture et de cette assiette…
Prenons conscience de ce qui est là, comme si c’était la première fois. Et d’ailleurs, l’instant qui vient n’est-il pas toujours la première fois ?
À demain pour le quatrième pilier : celui de la confiance en soi.
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