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La transformation est, pour moi, un des piliers de la pleine conscience. C’est un sujet qui, dans mon rôle de coach professionnel et de formateur, m’a passionné pendant des années.

Depuis des milliers d’années, les êtres humains ont recours à des pratiques psycho-corporelles pour équilibrer et transformer leur vie et pour se changer eux-mêmes. Et, bien entendu, l’angle de la transformation personnelle est l’un des facteurs essentiels sur lesquels s’appuie la méditation pleine conscience pour nous permettre d’expérimenter une vie épanouissante.

Grâce aux pratiques attentionnelles, notre esprit développe sa capacité d’auto-transformation en nous permettant de développer le potentiel nécessaire pour nous libérer de nos souffrances et pour contribuer à l’éveil des êtres qui nous entourent.

Mais qu’est-ce que la transformation, comment se produit-elle et où débute-t-elle ?

Qu’est-ce que la transformation ?

Dans les milieux du développement personnel et de la formation, que je connais assez bien, j’ai pu observer un modèle de transmission – très largement répandu – qui prétend produire le changement mais qui s’avère plutôt inefficace.

Dans ce modèle, lorsqu’un changement est nécessaire on enseigne à son sujet, on écrit des livres, on présente une information, on ouvre une formation ou on tient une conférence. Avant les aspects purement mercantile de cette approche du changement, se cachent deux croyances principales : premièrement, diffuser la bonne information produit la bonne action et, deuxièmement, le changement peut être comme imposé de l’extérieur.

L’information seule ne produit pas la transformation

La première croyance est très largement répandue aujourd’hui en Occident et elle se base essentiellement sur le fait de présenter de “l’information”.

Ce modèle est inscrit dans notre culture depuis fort longtemps et se décline sous toutes sortes de formes dans nos modèles éducatifs : le savoir est dispensé depuis la chaire à une audience “ignorante” qui utilise essentiellement son intellect pour intégrer ce qui doit être su, sans que la mise en pratique constitue un aspect clé de l’apprentissage. Ce modèle des “sachants” présuppose que si une personne dispose de la bonne information, elle saura ce qu’il faut faire et choisira d’agir. C’est vrai dans certains contextes mais rarement en ce qui concerne le changement personnel.

D’ailleurs, je connais des personnes qui savent que fumer tue et qui continuent. Leurs paquets de tabac affichent d’horribles photographie les informant des effets mortels du tabagisme, néanmoins, elles continuent d’en consommer au mépris de leur santé et au risque de couler le navire dans les heures sombres de la maladie !

Alors – et à moins qu’elle rêve secrètement de mourir d’un cancer du poumon – pourquoi une personne qui détient une information aussi cruciale et factuelle pour sa propre survie ne change-t-elle pas ?! Comment peut-elle continuer à fumer cigarette sur cigarette tout en sachant qu’elle s’expose à mourir dans la douleur et la souffrance ? Vous ne voyez pas où je veux en venir ?

C’est pourtant très simple : s’il suffisait de détenir une information pour que celle-ci produise automatiquement un changement, le simple fait de savoir que fumer tue devrait entrainer l’arrêt du tabagisme ! Mais, comme pour des milliers d’autres exemples, ça n’est pas ce qui se produit ici.

C’est comme si la vie se déroulait au milieu d’un océan d’icebergs qui risquent d’envoyer le fumeur par le fond à tout instant mais, tant qu’il n’est pas touché personnellement, percuté par un bloc de glace fatal, il néglige l’information et agit comme s’il était insubmersible. Tout le monde sait pourtant comment finit l’histoire du navire qui ne pouvait pas couler…

Bien entendu le fait d’informer est important mais il est loin d’être suffisant. En effet, le problème avec ce premier paradigme, c’est qu’il néglige le fait que le choix du changement est interdépendant avec le contexte dans lequel vit la personne.

Par exemple, comme je l’ai vécu, il n’y a pas de doute qu’il est très difficile d’arrêter de fumer si la personne avec laquelle vous vivez depuis vingt ans fume. Cela provient de la force des habitudes qui soutient et renforce le mode “pilotage automatique” dans lequel nous fonctionnons généralement. En réalité, aucun changement durable ne peut se produire en dehors du contexte réel dans lequel vit une personne. Il faut tenir compte de l’océan sur lequel évolue la personne et des dangers qui s’y trouvent.

L’information seule ne produit pas la transformation car nos habitudes sont un peu comme le Titanic : leur force d’inertie est considérable. Cela demande donc une intention ferme et beaucoup de volonté pour prendre en compte l’information de la dangerosité des icebergs et décider de redresser la barre.

Transformation, pouvoirs et relation

Le second paradigme signifie que nous croyons disposer du pouvoir nécessaire sur une personne ou d’un groupe de personnes pour forcer, de l’extérieur, la transformation. Il y a d’ailleurs derrière cette croyance une mauvaise compréhension et utilisation de la nature du pouvoir. Car il existe deux sortes de pouvoirs : le pouvoir sur la relation et le pouvoir pour la relation.

Le premier type de pouvoir est souvent malsain et source d’injustices. Il évoque le pouvoir des dieux tout-puissants sur les hommes. C’est une forme de pouvoir qui exige et qui nie les besoins profonds et véritables de l’autre en opposant les forces naturelles de changement. Elle produit le combat. Le second type de pouvoir est source de coopération et de justice. Il évoque plutôt le pouvoir d’un ami qui utilise ses capacités au service d’une amitié. C’est une forme de pouvoir fondé sur le respect réciproque des besoins d’autrui et qui conjugue l’élan naturel de transformation afin de produire une alliance.

Lorsque, pour obtenir un changement, vous exercez un pouvoir sur vos relations, cela se manifeste exactement comme si le changement pouvait s’appliquer aux personnes comme à des pièces de poterie que le potier modèle à son idée et qu’il décide de modifier au gré de ses envies. On devine déjà que si cela fonctionne bien avec une assiette ou un vase, c’est différent avec des humains qui, généralement, sont plus difficiles à changer que de simples pièces de poterie.

Pourtant, cette idée qu’il est possible de changer l’autre est tellement ancrée en nous que, dans les situations qui nous déplaisent, nous désirons spontanément que l’autre soit différent de ce qu’il est, qu’il se comporte comme nous le désirons et qu’il devienne à l’image de la personne que nous idéalisons. Ce paradigme mène, par exemple, un certain nombre d’entre nous à se comporter de façon inappropriée : en imposant leur aide alors que celle-ci n’a pas été sollicitée, ou en se positionnant en “sauveur” de “victimes présumées” qui ne veulent pas que les choses changent, ou encore en modifiant les règles d’une profession depuis les instances officielles, sans aucune consultation des principaux intéressés mais en espérant que les changements décidés en haut lieu seront appliqués sur le terrain.

Évidemment, tout cela ne marche pas et devient la source de conflits voire de combats.

Ces deux premiers paradigmes conduisent naturellement à user d’un large éventail d’évènements presque uniquement dans le but de produire un changement, une transformation, chez les auditeurs, au moyen d’informations qui touchent essentiellement l’intellect.

Même si certains bénéfices peuvent être retirés de ce modèle très occidental – que j’intitule “modèle informationnel” – cette approche ne produit généralement pas de transformation majeure chez les individus. Il est un modèle bien plus oriental qui produit, en revanche, des transformations personnelles majeures. C’est le “modèle relationnel” qui a démontré, dans toutes les traditions, que la transformation personnelle prend bien mieux place dans le cadre d’une relation qui tient compte du pouvoir pour.

On trouvera parmi ces relations des rapports du type, par exemple :

  • maitre/apprenti ou maitre/disciple,
  • ou guide/guidé,
  • ou thérapeute/patient,
  • etc.

Voyons l’exemple que nous a donné le Bouddha Gautama. Lorsqu’il entreprit d’atteindre l’éveil – la transformation personnelle ultime – il pratiqua la méditation avec deux maîtres différents.

Avec le premier il pratiqua la méditation qui transcende tous les objets des sens et conduit à demeurer dans la sphère du néant. Mais malgré le calme intérieur réalisé il n’atteignit pas l’éveil stable qui met fin à la souffrance. Il se rendit alors auprès d’un autre maître, qui enseignait une méditation fondée sur l’état d’absence de connaissance comme de non-connaissance. Mais ce n’était pas non plus ce qu’il recherchait.

Avec leur pouvoir pour, les maîtres avec qui il avait pratiqué purent l’accompagner sur une partie du chemin de sa réalisation et il reprit d’ailleurs, plus tard, certains aspects de leurs pratiques dans son propre enseignement. Mais c’est seul, après une période de pratique ascétique intense qu’il atteignit finalement l’éveil.

Ceci signifiant, pour ma part, qu’un maître extérieur peut disposer du pouvoir pour nous accompagner – dans le cadre d’une relation – jusqu’à un certain point, mais qu’il ne peut réaliser l’éveil intérieur à notre place. Aucun maitre n’a de pouvoir sur notre éveil.

Jésus, un autre oriental, enseignait la vérité aux foules en paraboles “afin que celles-ci ne la comprennent pas” nous dit l’évangile de Matthieu. Pourquoi une telle affirmation ? D’après moi, parce que Jésus savait que celui à qui on annonce la vérité en dehors de l’expérience d’une relation entend une information qui ne produira aucune véritable transformation dans sa vie.

Pour qui sait le lire sans a priori, le passage de l’évangile de Luc 17:12-19 est à cet égard criant de vérité vis-à-vis de l’inefficacité de nos méthodes modernes de (trans)formation. Ce passage raconte comment dix lépreux vinrent à lui pour réclamer guérison. En les voyant, il leur donna une information : “allez vous montrer au sacrificateurs” et, pendant qu’ils y allaient, il furent guéris extérieurement. Parmi eux, un seul – un étranger – revint vers Jésus pour lui rendre grâce. Jésus s’étonna de l’absence des neuf autres et annonça à celui qui était revenu que sa foi venait de le sauver. Pour ce samaritain, la véritable transformation avait eu lieu, à l’intérieur.

Il me parait évident que Jésus a suscité des transformations intérieures essentiellement sur la base de ce que j’appelle le “modèle relationnel” : les évangiles décrivent une stratégie tacite qui consistait à construire des relations intimes, de l’intérieur vers l’extérieur, avec un petit cercle de disciples éclairés. Jésus savait que la vérité transmise dans le contexte d’une relation, ajoutée à l’expérimentation dans le contexte réel de la vie de l’époque, était transformationnelle. Ce petit cercle initial a essaimé en créant d’autres petits groupes relationnels dans lesquels les disciples expérimentaient le changement personnel. Et bien qu’il n’ait jamais quitté la Palestine, 2000 ans après, le message transformationnel de l’homme de Nazareth influence encore aujourd’hui des millions d’adeptes à travers le Monde.

Inspiration + Action = Transformation

Une transformation personnelle réelle et durable prend toujours racine au cœur de l’être avant de se déployer vers l’extérieur. Et puisqu’on ne nait pas humain mais qu’on le devient, la transformation est un chemin qui consiste à devenir un être plus humain, à faire de nous une meilleure personne.

Cela ne signifie pas d’adhérer à un dogme ou à un ensemble de règles religieuses supposées nous libérer de notre condition naturelle, mais plutôt à nous engager à cultiver, par exemple, une plus grande lucidité à notre propre sujet, des émotions positives, des sentiments de paix intérieure, de générosité et de bienveillance. Il ne s’agit pas, c’est évident, d’une transformation physique mais plutôt d’un changement profond de perception, de compréhension, de personnalité et d’orientation ; en bref d’une nouvelle vision du monde.

C’est un processus de lâcher-prise qui commence par un choix personnel qui est lié à la façon dont nous traitons l’information que nous recevons, soit en la laissant glisser à la surface de notre être comme l’eau sur les plumes d’un canard, soit en nous l’appropriant pour agir honnêtement en fonction de nos propres besoins.

La transformation personnelle est donc un changement profond de l’individu, qui se produit de l’intérieur vers l’extérieur, dans le double contexte d’une relation et de la vie réelle.

Le “modèle relationnel”, que nous ont transmis bien des sages à travers les âges nous invite à incarner le changement en prenant exemple sur quelqu’un qui est – pour un temps ou pour longtemps – une source d’inspiration et un modèle d’action. Ce quelqu’un peut être en partie ou tout à la fois :

  • un disciple qui a réalisé profondément le sens de la pratique et, dans certains cas, a été autorisé à la transmettre par quelqu’un d’autre ;
  • un guide, un ami spirituel qui arpente le chemin et accompagne l’apprenti dans son propre cheminement ;
  • une incarnation de ce qu’il enseigne et notamment de la capacité à mettre en lumière ses propres illusions. Conscient de ses propres ombres et du chemin qu’il est lui-même ne train de parcourir, il permet à chacun d’éclairer tous les aspects de son être sans faux-semblants et sans culpabilité ;
  • une personne qui se remet elle-même en question et qui évite à ceux qu’elle guide de s’enfermer dans les impasses d’une mauvaise compréhension de la pratique ;
  • le témoin qu’une vie éveillée est possible, ici et maintenant, en harmonie avec la pratique qu’il enseigne.

Inspiration + Action = Transformation

Au contact d’une telle source d’inspiration nous apprenons l’action juste qui nous conduit à devenir des agents de transformation dans ce monde.

En décidant de ne plus entretenir les poisons mentaux qui détruisent notre existence – ce qui constitue une pratique en soi – nous gagnons en clarté et en force instant après instant, jour après jour, une année après l’autre. Nous comprenons que disposer de l’information au sujet de ce qu’il faut changer ne suffit pas et nous réalisons que, de la même façon que nous passons des années à apprendre à parler, à lire, à cuisiner ou à jouer d’un instrument, notre transformation personnelle passe par un entrainement long et régulier.

Grâce à la pratique de la méditation pleine conscience nous ne devenons pas du jour au lendemain une personne radicalement différente mais nos traits de caractère s’améliorent, s’adoucissent et s’équilibrent. Nous commençons par devenir le changement que nous voulons voir avant de le susciter autour de nous en exerçant notre pouvoir pour faire changer les choses.

En apparence, la pratique de la méditation pleine conscience peut ressembler à une discipline ennuyeuse, faite de longues périodes d’assise dans des endroits calmes et retirés, souvent sans personne à proximité, à s’observer en train de penser ou de respirer. Et, franchement, vu de l’extérieur, ça ne ressemble pas trop à un processus dynamique.

Pourtant, cette simple pratique recèle un immense pouvoir de transformation : cet entrainement attentionnel agit en amenant de la présence sur notre mode de pilotage automatique – c’est-à-dire notre propre mode interne de réactivité. Ce faisant, et tout en exerçant notre attention à maintenir cette conscience tout au long de la journée, il nous permet de recouvrer notre capacité de choisir comment agir en conscience face à nos circonstances.

La pratique nous exerce alors à écouter en profondeur nos propres besoins et les besoins des autres afin d’y amener les changements que nous jugeons nécessaires à chaque instant. Cette attitude, profondément transformante, permet de repérer les icebergs flottant à la surface de notre vie et de rompre le cercle vicieux des habitudes devenues indésirables. Elle facilite l’installation de spirales ascendantes et vertueuses qui produisent les changements nécessaires à notre évolution personnelle, tout en inspirant les personnes que nous côtoyons à se transformer elles-mêmes.

N’est-ce pas à cette sorte-là de transformation que chacun de nous devrait aspirer ?

 

Jean-Marc Terrel
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